Égyptologue – historien – humaniste – écrivain sénégalais : Cheikh Anta Diop (1923-1986)

« La langue et la littérature que nous ont léguées les Égyptiens de l’époque pharaonique sont suffisamment explicites sur leur origine nègre », écrit ce grand historien, symbole de la conscience noire, celui qui, en dépit des obstacles anti-Noirs sous toutes ses formes, a refusé la marginalisation de l’Afrique noire. Les Égyptiens n’avaient qu’un terme pour se désigner eux-mêmes, déclare-t-il : KMT, littéralement, les Nègres. C’est le terme le plus fort qui existe en langue pharaonique pour indiquer la noirceur. Ce mot est l’origine étymologique de la fameuse racine « Kamit » qui a proliféré dans la littérature moderne. La racine biblique « Kam » en dériverait. Il a fallu donc faire subir aux faits une distorsion pour qu’il puisse signifier « blanc » (…) Enfin « noir » ou « nègre » était l’épithète divine qui qualifie invariablement les principaux bienfaiteurs de l’Égypte. Km-wr : le grand Noir, surnom d’Osiris Athribis; Kmt : déesse, la noire; « Km » est aussi appliqué à Hathor, Apis, Min et Thot; Set Kemet : la femme noire, Isis (…) Le professeur Diop nous rappelle que, d’une façon générale, toute la tradition sémite (juive et arabe) classe l’Égypte ancienne parmi les pays des Noirs. L’importance de ces témoignages ne peut être ignorée, car il s’agit, dit-il, de peuples qui ont vécu côte à côte, parfois en symbiose (les Juifs) avec les anciens Égyptiens, et qui n’ont aucun intérêt à présenter ceux-ci sous un faux jour ethnique. Par conséquent, selon le prof Diop, l’idée d’une interprétation erronée des faits ne saurait non plus être retenue1.

Aujourd’hui certaines de ses idées, principalement l’historicité des sociétés africaines, l’antériorité de l’Afrique et l’africanité de l’Egypte, ne sont plus discutées et les témoignages sont unanimes pour présenter Cheikh Anta Diop comme une grande figure de l’humanisme2« Le problème, disait-il encore dans son intervention au colloque d’Athènes de l’Unesco en 1981, est de rééduquer notre perception de l’être humain, pour qu’elle se détache de l’apparence raciale et se polarise sur l’humain débarrassé de toutes coordonnées ethniques. » « Je n’aime pas employer la notion de race (qui n’existe pas) (…). On ne doit pas y attacher une importance obsessionnelle. C’est le hasard de l’évolution. »

Parmi ses ouvrages, tous marquants : Nations nègres et culture: de l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui (1954), dont Aimé Césaire dira qu’il est « le livre le plus audacieux qu’un nègre ait jamais écrit »; Antériorité des civilisations nègres, mythe ou vérité historique ? (1967); Civilisation ou barbarie (1981).


1 Comité scientifique international pour la rédaction d’une Histoire générale de l’Afrique (Unesco). Histoire générale de l’Afrique II Afrique ancienne, Paris, Présence Africaine, 1987
2 « Cheikh Anta Diop, restaurateur de la conscience noire » par F. H. Wané, Le monde diplomatique (Archives, janvier 1998)