Politologue, orateur hors pair : Frederick Douglass (1818-1895)

D’esclave autodidacte à ambassadeur des Etats-Unis, un orateur hors pair

 
Un des plus grands orateurs abolitionnistes de son temps, écrivain et politologue réputés, conseiller des présidents Lincoln, Grant et Hayes, Frederick Douglass sera de toutes les luttes pour l’intégration sociale, politique et économique de la communauté afro-américaine.

Fils d’une esclave1 noire et d’un Blanc (dont l’identité n’a jamais été connue), Frederic Augustus Whashington Bailey comprend très tôt que son salut -soit la route menant de l’esclavage à la liberté- passe par l’instruction. « Si tu enseignes à ce nègre à lire, il n’y aura plus moyen de le tenir. Cela le rendra à jamais inapte à l’esclavage. Il deviendra aussitôt incontrôlable et sans valeur pour son maître », entendra-t-il un de ses maîtres (précisément Hugh Auld, à Baltimore, celui-là même qui rendra à Douglass son statut d’homme libre) ainsi parler de lui. Il apprendra donc seul, de peine et de misère, à lire et à écrire.

Fuyant l’esclavage sous l’identité d’un marin libre, F. Bailey arrive à New York le 4 septembre 1838, puis s’installe à New Bedford dans le Massachusetts sous son nouveau nom, Frederick Douglass (tiré d’un personnage de roman de l’écrivain écossais, Sir Walter Scott). Il y est remarqué par William Lloyd Garrison, fondateur du journal Liberator (sorti le 1er janvier 1831 à Boston) et surtout abolitionniste blanc à la tête de l’Organisation Anti-Slavery International (société créée à Philadelphie le 4 décembre 1833 pour l’abolition de l’esclavage aux USA). Il en devient un incontournable porte-parole. Amené à prononcer un véhément discours lors de la Convention annuelle à Nantucket en 1841, Douglass révèle un tempérament d’orateur toujours prêt à défendre, outre la cause de ses frères esclaves, les principes même inscrits dans la Constitution des Etats-Unis. La clarté de son allocution, sa vaste érudition en étonnent plus d’un. Se peut-il qu’un esclave en fuite sache si bien s’exprimer? La sortie de sa première autobiographie2 « Narrative of the life of Frederick Douglass, an American slave, written by himself », grand classique des récits d’esclavage, met un terme à cette suspicion. Tiré à 5 000 exemplaires, le livre devient un best-seller dès sa parution en 1845. La publication des atrocités commises par ses maîtres encore en vie le contraint cependant à l’exil. Durant deux ans, il participe à des conférences en Angleterre et tente de gagner des appuis pour le mouvement anti-esclavagiste américain. Pendant ce temps, ses amis réunissent une somme de 1250 $ et rachètent sa liberté le 5 décembre 1846. À son retour, auréolé d’une immense réputation internationale, Douglass se bat pour l’égalité des droits avec ses propres armes : l’écriture. Ainsi il fonde le 3 décembre 1847 à Rochester, New York, avec l’aide d’une amie anglaise blanche, Julia Griffiths, un hebdomadaire de 4 pages, le North Star, remplacé en 1870 par le New National Era, destiné aux Noirs nouvellement affranchis à la fin de la guerre civile.

Nommé président du Colored Convention Movement en 1848, il s’investit dans la défense des droits de la personne, participant activement au « chemin de fer souterrain », réseau de caches sûres pour faciliter les évasions d’esclaves. Il apporte aussi un indéfectible soutien aux revendications des femmes et des suffragettes. C’est d’ailleurs au retour d’une réunion du National Council Women à Washington qu’il meurt le 20 février 1895 à son domicile de Cedar Hill, à Rochester, dans les bras de son ancienne secrétaire blanche, épousée en 1883, deux ans après la mort de sa première femme, Anna Murray, mère de ses quatre enfants.

Premier esclave à devenir un politicien reconnu et un partisan des plus actifs de l’abolition de l’esclavage dans le respect des règles constitutionnelles, F. Douglass soutient la candidature d’Abraham Lincoln à la campagne présidentielle de 1860 en invitant les Noirs à se ranger du côté de l’Union : « Une victoire républicaine, dit-il, devrait être et sera saluée comme un triomphe anti-esclavagiste ». Il se bat ensuite pour l’intégration de bataillons de soldats noirs (le 10 août 1863, il vint défendre à la Maison-Blanche l’incorporation des Noirs dans l’Armée Fédérale et protester contre la discrimination dont ils étaient l’objet). Lorsque le 13e amendement de la constitution américaine abolissant l’esclavage est voté en 1865, la voix de Douglass –soutenu par la Société anti-esclavagiste- se fait à nouveau entendre pour réclamer le droit de vote des quatre millions d’esclaves libérés. « L’esclavage disparaîtra totalement le jour où les Noirs-Américains obtiendront le droit de vote », assurait-il. Pourtant le vote, en 1869, du 15e amendement accordant les droits civiques aux gens de couleur n’arrête pas le combattant pour l’égalité des droits, que l’on voit également s’opposer à la National Colonization Society of America, dont l’objectif inavoué était de forcer le retour en Afrique des Noirs libérés.

Nommé en 1871 secrétaire de la Commission chargée de se rendre dans la République de Saint-Domingue (qui avait demandé à être annexée par les Etats-Unis), électeur présidentiel en 1872 pour l’État de New York, président de la Freedmen’s Bank, marshal pour le district de Columbia de 1877 à 1881, ministre des Etats-Unis à Haïti de 1889 à 1891, Frederick Douglass aura une fin de vie paisible et comblée d’honneurs.

Ce réformateur éclairé fut le premier Noir à franchir les portes de la Maison-Blanche (il fallut l’intervention personnelle du président Lincoln pour l’introduire dans la salle de réception, alors que le policier en faction lui en refusait l’entrée).

C’est en ces termes que le président Lincoln présenta à l’assemblée son invité spécial :

« Voici mon ami Douglass, … il n’y a personne, dans le pays,
dont l’opinion m’importe plus que la vôtre. »

 
Sources :

  • grioo.com par Paul Yange
  • Histoire de la race noire aux Etats-Unis. Franck L. Schoell
  • Le Nouvel Afrique Asie, mai 1998, p. 27


1 Harriet Bailey, dont le maître, Edward Lloyd, possédait 13 fermes dans le comté de Talbot au Maryland et 500 esclaves.
2 Le récit autobiographique est un genre littéraire en plein développement à cette époque. Il en publiera deux autres : en 1855, My Bondage and my Freedom ; en 1881, Life and Times of Frederick Douglass.