Éminent historien et égyptologue : Cheikh Anta Diop (1923-1988)

Grand historien, précurseur de la « re-naissance » africaine…

 
Né à 150 km de Dakar, au Sénégal, Cheikh Anta Diop arrive à Paris en 1946 pour entamer des études supérieures pluridisciplinaires. En 1950, il est déjà en possession d’une licence de philosophie et de deux certificats de chimie obtenus à la Sorbonne auprès des professeurs de renom, tels Jean-François Joliot-Curie1 et Gaston Bachelard2. À partir de 1956, il enseigne la physique et la chimie aux lycées Voltaire et Claude Bernard à Paris. En 1960, il obtient un doctorat d’État de Lettres à la Sorbonne en soumettant une thèse sur l’ « Étude comparée des systèmes politiques et sociaux de l’Europe et de l’Afrique noire, de l’Antiquité à la formation des États modernes ». Fait à noter, une première thèse intitulée « Qu’étaient les Égyptiens prédynastiques » n’avait trouvé preneur auprès d’aucun jury académique, qui ne tenait pas à mettre en péril les idéaux coloniaux français. Qu’à cela ne tienne. Diop publiera en 1954 aux Éditions Présence Africaine : « Nations Nègres et Culture – De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui ». Ouvrage avant-gardiste que seul Aimé Césaire (grand poète martiniquais et homme politique, né en 1913) appuiera en ces termes : … livre le plus audacieux qu’un nègre ait jamais écrit … et qu’il comptera à n’en pas douter dans le réveil de l’Afrique.

Du 28 janvier au 3 février 1974 se tient au Caire, organisé par l’UNESCO dans le cadre de la Rédaction de l’Histoire générale de l’Afrique, le colloque intitulé « Le peuplement de l’Égypte ancienne et le déchiffrement de l’écriture méroïtique ». Il fournit l’occasion à Cheikh Anta Diop, alors membre du Comité international chargé de rédiger l’histoire générale de l’Afrique, de démontrer magistralement, devant les plus grands égyptologues du moment, l’origine nègre de la civilisation de l’Égypte ancienne, démantelant ainsi les arguments de la supériorité des peuples nordiques sur les autres espèces humaines. Le rapport officiel de l’UNESCO ne pourra qu’entériner cette thèse en mentionnant l’africanité de l’Égypte dans son écriture, dans sa culture et dans sa manière de penser. L’historien est le premier à relever, entre autres, un taux de mélanine considérable entre l’épiderme et le derme (or, la mélanine est absente des peaux des leucodermes, c’est-à-dire des personnes européennes). Plus tard, à partir de la biologie moléculaire, les prélèvements d’ADN effectués par d’autres chercheurs (dont Svanté Paabo, de l’université d’Uppsala en Suède, qui a analysé l’ADN d’un prince égyptien momifié à l’époque de Ptolémée 1er; les Français Béatrix Midant-Reynes, du CNRS, et Eric Crubezy, anthropologue, de l’Université toulousaine Paul Sabatier) n’ont pas remis en question le caractère nègre des habitants de la Vallée du Nil. On se demande pourquoi l’autorisation officielle de poursuivre des recherches sur la peau des pharaons (Ramsès II, Séthi 1er, etc.) n’a jamais été accordée au professeur Diop.

Un intérêt certain pour la politique mène l’historien au poste de secrétaire général de l’Association des Étudiants du RDA (Rassemblement Démocratique Africain – dirigé par Félix Houphouët-Boigny, président de la République de Côte d’Ivoire) à Paris. Organisateur du premier congrès panafricain politique d’étudiants d’après-guerre en juillet 1951, il pose, dans un article du bulletin mensuel, les principes de l’indépendance nationale et de la constitution d’une fédération d’États démocratiques africains à l’échelle continentale.

De retour au Sénégal en 1960, le professeur Diop met à profit son expertise en physique nucléaire pour créer à Dakar le premier laboratoire de carbone 14 en Afrique noire en 1966. Ce n’est qu’en 1981 que la Faculté des Lettres de l’Université de Dakar lui ouvre ses portes pour enseigner l’histoire ancienne, retardant d’autant la formation d’une génération d’historiens et d’égyptologues africains à même de restaurer la conscience historique de l’Afrique.

En 1985, le maire Andrew Young et l’association Martin Luther King l’invitent à donner des conférences à Atlanta (USA) et proclament le 4 avril 1985 « Dr. Cheikh Anta Diop Day ».

Cette éminente figure scientifique de la re-naissance africaine décède le 7 février 1986 à son domicile de Fann, quartier situé non loin de l’Université de Dakar qui, aujourd’hui, porte son nom. Selon sa volonté, il repose auprès de son grand-père, Massamba Sassoum Diop, fondateur du village de Caytou.

Cheikh Anta Diop aura consacré sa vie à la réécriture de l’histoire de l’Afrique, et, partant, de l’humanité. Ses travaux en égyptologie, en linguistique (sur le wolof et le sérère, langues parlées au Sénégal), en anthropologie, chimie et biologie lui auront permis de rétablir l’origine négro-africaine de l’humanité et la parenté entre l’Égypte ancienne et le reste de l’Afrique noire.

Parmi ses nombreux ouvrages de référence, on peut citer :

  • Nations nègres et culture (1955)
  • L’unité culturelle de l’Afrique noire (1959)
  • L’Afrique noire précoloniale (1960)
  • Les fondements culturels, techniques et industriels d’un futur État fédéral d’Afrique noire (1960)
  • Antériorité des civilisations nègres : mythes ou vérité historique ? (1967)
  • Le laboratoire du radiocarbone de l’IFAN (1968)
  • La pigmentation des anciens Egyptiens. Test par la mélanine (1973)
  • Physique nucléaire et chronologie absolue3 (1974)
  • Parenté génétique de l’Égyptien pharaonique et des langues négro-africaines (1977)
  • Identité culturelle et société post-industrielle (1980)
  • Civilisation ou Barbarie (1981)
  • Histoire primitive de l’humanité : évolution du monde noir (1962 – réédité en 1989)
  • Nouvelles recherches sur l’égyptien ancien et les langues négro-africaines modernes4

En démontrant que les hommes jouissent tous des mêmes capacités intellectuelles, Cheikh Anta Diop souhaitait voir extirper toute trace de racisme et émerger un monde où hommes et femmes ouvriraient leur cœur pour échanger le meilleur, car, disait-il :

« Le problème … est de rééduquer notre perception de l’être humain, pour qu’elle se détache de l’apparence raciale et se polarise sur l’humain débarrassé de toutes coordonnées ethniques ».

 
Sources :

  • Jean-Philippe Omotunde. Institut Africamaat – AssociationArchive.com – AnkhOnline.com
  • Mariétou Dion Cheikh M’Backé Diop – Université Cheikh Anta Diop – Dakar – Sénégal – mars 2004
  • Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture.


1 Prix Nobel de chimie en 1935
2 Philosophe et épistémologue (1884-1962). Il assuma la direction de l’Institut d’histoire des sciences et des techniques à l’Université de la Sorbonne.
3 Ouvrage de synthèse, décrivant les diverses méthodes de datation d’échantillons archéologiques et géologiques, en particulier celles mises en œuvre dans le laboratoire qu’il a créé à Dakar.
4 Ouvrage inachevé, présenté à titre posthume par le fidèle disciple de Diop, le professeur Théophile Obenga (qui a participé au Colloque du Caire en 1974). Publié par les Éditions Présence Africaine.